Mon regard se perd par le hublot. Les nuages cotonneux qui défilent lentement en dessous de nous m’ont toujours inspiré l’Olympe et ses mystères, et par extension les journées passées avec mon paternel à explorer les vestiges grecs. Quand j’étais petit, il m’emmenait avec lui pendant les vacances scolaires. Contrairement à l’école, où mes questions restaient sans réponses, aux côtés de ce héros, tout prenait sens. Le passé et le présent se rejoignaient sous son regard expert, et j’avais acquis la certitude que ce serait là ma voie. Je serais comme lui ! Un archéologue capable de dénicher dans la terre les mystères de l’existence ; qui, en effleurant du regard un vase, pourrait en révéler l’histoire à travers sa forme, ses couleurs et les mythes qu’il illustre ; qui lirait les inscriptions sur les pierres comme on dévore un livre ; qui, à la courbe d’un fragment, reconnaîtrait la douceur d’une cheville, comme on caresse le souvenir d’un amour perdu…

     Pourtant, depuis que mon père a sombré, une angoisse me ronge sans relâche, remettant en cause l’essence même de ma passion. Cette folie soudaine qui l’a saisi est-elle inscrite dans nos gènes, ou n’est-ce que la conséquence fatale de son insatiable quête de vérité qui touche à l’hybris ? Ou encore cette obsession pour les mystères enfouis est-elle un poison lent qui finit par dévorer l’esprit ?

     Je revois son regard perdu, hanté par des visions que personne d’autre ne semble voir. Il ne fait que parler de choses insensées, de mondes parallèles, de voix murmurant à ses oreilles. Les médecins ont évoqué une démence précoce, mais je ne suis jamais parvenu à m’en convaincre. Il y a dans ses paroles, qu’il est le seul à comprendre, quelque chose de mystérieux qui échappe à toute explication rationnelle.